Le peintre Yvon Daigle, fondateur du Musée international d'art naïf de Magog, nous dit de l'art naïf que c'est le fruit du travail d'artistes, souvent autodidactes, qui peignent " avec le cœur ou, comme on se plaît à le dire, avec les yeux de l'âme. " Des artistes qui gardent " l'esprit d'un jeune enfant, capable d'émerveillement et de fraîcheur, mais sans infantilisme. " En cela, il n'a pas tort, car les peintres naïfs conservent effectivement presque tous de l'enfance la liberté d'expression et d'invention qui fait non seulement le charme de leurs œuvres, mais également celui de tous les dessins d'enfants du monde. L'art naïf, cependant, n'est pas seulement émerveillement et fraîcheur ; ni le seul art créé avec le cœur ou les yeux de l'âme. En cela, les peintres naïfs rejoignent la grande famille de tous les artistes du monde. Ils le font toutefois avec un langage plastique qui les distingue de tous les autres créateurs.
Ce langage, nous l'apprenons tous et le pratiquons étant enfants, car c'est un langage universel et fondamental dans toute pratique artistique d'arts visuels. Par contre, c'est aussi un langage que la très grande majorité d'entre nous choisit d'oublier à l'approche de l'adolescence, lorsque nos intérêts se tournent vers la recherche d'un réalisme que nos crayons et nos pinceaux ne parviennent presque jamais à capturer.
Quelques-uns d'entre nous, bien entendu, réussissent ce tour de force et deviennent pour plusieurs des artistes figuratifs. D'autres, laissant de côté les récits et les descriptions, tournent leur attention vers la matière et son potentiel de transformation et deviennent des champions de l'expressionnisme et de l'abstraction. Un certain nombre d'autres consacrent leurs énergies à développer différents concepts et à élargir la définition même de l'expression " arts visuels ". Ce faisant, ils se méritent à leur tour une place dans le monde des arts contemporains. La qualité des réalisations et l'importance des contributions à l'avancement des connaissances humaines de tous ces créateurs ne font aucun doute et sont célébrées dans tous les musées d'art du monde.
En marge de ces derniers, il reste cependant un dernier groupe de créateurs qui, dans certains cas restent fidèles au langage original et travaillent toute leur vie à en perfectionner la qualité. Il y en a aussi d'autres qui laissent de côté les arts visuels pour y revenir plus tard et reprendre leur développement là où ils l'avaient laissé des années, voire parfois même des décennies, plus tôt. C'est dans ces deux derniers groupes de créateurs passionnés qu'on trouve les artistes naïfs.
Du fait qu'ils pratiquent un langage qui nous est plus familier, on pourrait penser que la contribution des artistes naïfs au développement des connaissances est moins importante que celle des artistes classiques ou contemporains. Le faire serait toutefois probablement une erreur car, au-delà de l'intérêt de ce qu'il nous raconte ou nous décrit, l'art naïf constitue une porte d'entrée au cœur même du fonctionnement de la pensée symbolique et de la logique humaine. L'art naïf rend tangible les processus mêmes par lesquels nous décortiquons l'univers qui nous entoure et, avec notre logique propre, le reconstituons à notre gré pour le rendre tantôt plus simple ou ordonné, tantôt plus agréable à l'œil ou, encore, pour s'évader dans le rêve. L'art naïf nous révèle aussi plusieurs des influences qui affectent, souvent à notre insu, la justesse de notre vision du monde.
Pour qui s'intéresse au monde des arts visuels et aux processus de création artistique, l'art naïf est une richesse à ne pas ignorer. Il offre une occasion de faire un retour aux sources du développement du langage plastique et de retrouver les traces d'un langage sans frontière. On a peut-être trop demandé aux enfants que nous étions de faire effort pour l'oublier. Et voilà que les enfants devenus adultes trouvent grand plaisir à le redécouvrir.